Dans ce voyage, l’habitat a une place importante dans mon voyage que je désire autant initiatique, que formateur et contributeur.
Plusieurs mois avant mon départ en juin, je me suis inscrite à 2 stages de construction de kerterre : B1 pour monter les murs (kerterre à Fraize) et l’isolant et B2 (kerterre à Briançon) pour poser les différents enduits.
De fil en aiguille, j’ai participé au B3 en Bretagne et également à la construction d’une plus grosse kerterre (à Val d’Ajol). En tout 7 semaines passées les mains (gantées) dans la chaux.
Les photos présentées en dessous correspondent à des kerterres pour lesquelles j’ai participé à la construction.
Le coût
C’est le coût qui m’a séduite surtout, tout en ayant un intérêt écologique et accessible à l’autoconstruction.
La chaux, le chanvre et le sable sont les 3 matériaux principaux constituant la kerterre. Un round baller de chanvre (fibres jusqu’à parfois 2 mètres de long) permet la construction d’une kerterre telle que celle qu’on voit en vidéo plus bas. On utilise la chènevotte pour l’isolant, ce sont des fibres de chanvres hachées en bout de 2 cm. Concernant la chaux, on utilise pour les murs de la chaux hydraulique et pour l’intérieur de la chaux aérienne en plus (plus perspirante). Les chaux hydrauliques sont plus ou moins teintées (telle que celle de Boehm). Pour la couleur du rendu final, la couleur de sable et celle de la chaux hydraulique jouera un peu. On peut le voir sur les différentes photos et vidéo. En bretagne, le sable utilisé est blanc. Dans les Vosges, ce fut du sable rose et dans les Hautes-Alpes, du sable marron foncé.
Le poste important de cette construction réside dans les huisseries (skydôme, porte (particulière éventuellement pour le charme de cette maison) et les fenêtres selon qu’elles sont neuves ou pas.
La chaux est perspirante, pas comme le ciment qui bloque l’humidité. La chaux et le chanvre en carbonatant permet aux murs de devenir de la pierre sans empêcher l’eau d’être évacuée de l’intérieur vers l’extérieur. L’espace de vie devient toujours plus sain en vieillissant.
La rondeur
Cet habitat par sa forme arrondie permet une répartition équilibrée des charges. Comme il y a une proportion entre hauteur et largeur puisque la kerterre est à peu près une demi-sphère, les kerterres sont souvent petites. Mais il est tout à faire possible d’accoler plusieurs bulles (comme sur la vidéo) ou d’imaginer une énorme avec une nacelle (je n’en ai jamais entendu parler, mais tout est possible).
Concernant le sol, il est possible de poser du chanvre à même le sol car c’est une plante imputrescible comme la fougère. C’est la philosophie minimaliste de kerterre, au plus proche de la terre sans laisser de côté le confort. Je peux vous assurer qu’on s’y sent bien. D’ailleurs, voici un petit article remettant en perspective la notion de confort thermique bien au delà des degrés indiqués par le thermomètre.
La créativité
A part l’incrustation des huisseries, il est tout à fait possible d’incruster d’autres objets en verre, de créer des espaces à l’intérieur, des gouttières formant de belles vagues…
La dimension humaine
Bien qu’il est possible de faire seul une kerterre, il est une aventure de construire à plusieurs.
Toutes ces semaines de chantier ont été vécues à plusieurs que ce soit sous le format de stage ou de chantier participatif (20 personnes environ). Dans ce deuxième cas, la contribution au chantier est échangé contre le gîte et le couvert.
De faire ensemble nourrit la capacité à vivre ensemble : à s’harmoniser (par exemple, aller l’un vers l’autre pour que les enduits se rejoignent harmonieusement), à être conscient de sa disponibilité (parfois il est préférable de se retirer pour mieux revenir plus tard car on a à la fois notre capital d’énergie propre et notre rythme propre).
J’ai pu constater l’importance de communiquer, de la nécessité de poser des bases claires. Mais parfois ce n’est pas le cas, c’est ainsi. Comment à chaque moment on peut faire avec ce qui est et s’ajuster au mieux. La plupart des semaines autour de la kerterre se sont déroulés en présence du même formateur Teddy dont je retiens ces deux éléments : poser un cadre éventuellement évolutif et auquel se référer et, voir le caractère organique de toute situation. On pourrait dire cadre et faire avec les évènements perturbateurs (=la vie) pour avancer au mieux.
La technique et le matériel
Notre outil est notre corps
Nous n’avons pas utilisé de bétonnière, malaxeur ou autre machine. Seulement à la force des bras pour mélanger. Le silence brisé par la communication entre nous est vraiment appréciable. Nous avons utilisé des truelles, des gâches (auges à gâcher, gamattes), des taloches, des étais. La chaux mélangée à l’eau nécessite des gants, le contact n’est pas totalement direct. On peut utiliser un moule permettant de poser les mèches de chanvre chaulées dessus et ainsi gagner du temps.
C’est intéressant de prendre conscience de l’intelligence de notre corps à apprendre, geste après geste, à manipuler la matière, de plus en plus précisément. A part pour les huisseries, nous n’avons jamais utilisé de niveaux ou de mètre à mesurer. Travailler en courbe était très satisfaisant pour moi.
Habitat vernaculaire et habitat réversible
Je kiffe les habitats vernaculaires qui nous apprennent beaucoup sur l’histoire, la culture, les savoirs-faire, les matériaux disponibles. Tous ces éléments forment la singularité de l’habitat ancien d’un territoire. Dans le grand ouest et notamment dans le Cotentin, un grand nombre de bâtiments ont été construit en bauge. C’est une technique de construction de mur porteur à base d’un mélange élastique de terre argileuse et de fibres. Ah, l’argile ! Super matériau : en construction et qui soigne (voir le site de Jade Allègre qui l’a beaucoup étudié) ! Revenons à la construction, un partenariat franco-anglais travaille en ce moment sur le projet Cobbauge visant à améliorer et standardiser cette technique pour ainsi la rendre plus attractive au sein de la filière de la construction.
Sur la réversibilité de l’habitat, je vous encourage à jeter un oeil au MOOC sur les Habitats réversibles de Hameaux Légers. Il est très étoffé sur le sujet. Par ailleurs, Hameaux Légers souhaite promouvoir la propriété d’un habitat réversible qui permet à la terre de retrouver son état naturel sur un terrain en location (par un bail emphytéotique par exemple) et ainsi limiter la montée importante des prix dans l’immobilier. Est-ce normal de s’endetter sur tant d’années pour accéder à la propriété d’un habitat ? Le foncier est une valeur sûre… mais à quel prix pour les générations à venir ?
Aujourd’hui, bien que sur la route, je réfléchis à ma future maison : un habitat d’une part inspiré du territoire vernaculaire et d’autre part réversible.
Un habitat construit avec des savoirs-faire éprouvés par le temps n’empêche pas, et même au contraire, d’y adjoindre des techniques plus modernes, avec des process innovants ou des éléments empruntés à d’autres territoires. J’aime cet équilibre des 80/20 : une base à 80% et d’autres éléments à 20%. C’est à la fois une dynamique positive, équilibrée, réaliste et emprunte d’humilité.