J’ai repris l’itinérance depuis mercredi laissant les Vosges derrière moi. Les au-revoir furent doux et nombreux. J’ai mis du temps à apprécier les paysages de montagne. Ce sont les rencontres, les amitiés qui m’ont donné l’impression d’être installée, posée pendant ces 7 derniers mois…malgré mes 12kg d’affaires personnelles.
J’ai quitté Estelle, Christophe et leurs deux enfants Simon et Raphaël avec tellement de gratitude pour l’amitié construite depuis fin juin et leur bienveillance. Je suis passée chez eux par intermittence et suis restée depuis le 23 novembre. Instruction En Famille, groupe CNV et par eux différentes opportunités d’ouverture ont été nourrissants pour moi.
Le chantier de rénovation de la pièce de vie, toujours à Fraize, a bien avancé depuis le 23 novembre et se poursuivra encore.
La reprise de l’itinérance est enclenchée par le mariage de mes amis qui a lieu demain. C’est un « petit » crochet par la Bretagne pour un moment précieux de festivité célébrant l’engagement et l’amour de Yohann et Sylvie devant Dieu, familles dont leurs deux grands ado, et amis.
Pour arriver, j’avais tablé sur 2 jours. Mais hier soir, je n’étais qu’à Toul… grâce à Lisianne et Louise, Alexandra, Roger et Veronica, Catherine (rencontrée alors qu’elle avait rdv pour une vente sur le bon coin), et Manu. 21h, je suis sur une aire d’autoroute. Je commençais à stresser du reste à traverser et du temps imparti. Mais la providence s’en est mêlé : Un chauffeur routier Driss m’a acceptée malgré l’absence de retour de son entreprise (seulement avec une décharge, il lui était possible d’accepter une personne dans sa cabine). Ainsi, on a roulé toute la nuit jusqu’à proximité de Rennes et je suis arrivée chez mes amis à 7h30!… Soit une journée d’avance !
Lundi, départ vers le sud de la France… Avec la hâte d’avancer vers Jérusalem, ma fébrilité de vivre le quotidien de l’itinérance et le désir de rencontrer toutes mes personnes sur mon chemin.
Dans ce voyage, l’habitat a une place importante dans mon voyage que je désire autant initiatique, que formateur et contributeur.
Plusieurs mois avant mon départ en juin, je me suis inscrite à 2 stages de construction de kerterre : B1 pour monter les murs (kerterre à Fraize) et l’isolant et B2 (kerterre à Briançon) pour poser les différents enduits.
De fil en aiguille, j’ai participé au B3 en Bretagne et également à la construction d’une plus grosse kerterre (à Val d’Ajol). En tout 7 semaines passées les mains (gantées) dans la chaux.
Les photos présentées en dessous correspondent à des kerterres pour lesquelles j’ai participé à la construction.
Le coût C’est le coût qui m’a séduite surtout, tout en ayant un intérêt écologique et accessible à l’autoconstruction. La chaux, le chanvre et le sable sont les 3 matériaux principaux constituant la kerterre. Un round baller de chanvre (fibres jusqu’à parfois 2 mètres de long) permet la construction d’une kerterre telle que celle qu’on voit en vidéo plus bas. On utilise la chènevotte pour l’isolant, ce sont des fibres de chanvres hachées en bout de 2 cm. Concernant la chaux, on utilise pour les murs de la chaux hydraulique et pour l’intérieur de la chaux aérienne en plus (plus perspirante). Les chaux hydrauliques sont plus ou moins teintées (telle que celle de Boehm). Pour la couleur du rendu final, la couleur de sable et celle de la chaux hydraulique jouera un peu. On peut le voir sur les différentes photos et vidéo. En bretagne, le sable utilisé est blanc. Dans les Vosges, ce fut du sable rose et dans les Hautes-Alpes, du sable marron foncé. Le poste important de cette construction réside dans les huisseries (skydôme, porte (particulière éventuellement pour le charme de cette maison) et les fenêtres selon qu’elles sont neuves ou pas. La chaux est perspirante, pas comme le ciment qui bloque l’humidité. La chaux et le chanvre en carbonatant permet aux murs de devenir de la pierre sans empêcher l’eau d’être évacuée de l’intérieur vers l’extérieur. L’espace de vie devient toujours plus sain en vieillissant.
La rondeur Cet habitat par sa forme arrondie permet une répartition équilibrée des charges. Comme il y a une proportion entre hauteur et largeur puisque la kerterre est à peu près une demi-sphère, les kerterres sont souvent petites. Mais il est tout à faire possible d’accoler plusieurs bulles (comme sur la vidéo) ou d’imaginer une énorme avec une nacelle (je n’en ai jamais entendu parler, mais tout est possible).
Kerterre au Val d’Ajol (88). Les gouttières ne sont pas terminées, le pré-enduit n’a pas pu être posé sur toute la kerterre et il reste à poser l’enduit final.
Concernant le sol, il est possible de poser du chanvre à même le sol car c’est une plante imputrescible comme la fougère. C’est la philosophie minimaliste de kerterre, au plus proche de la terre sans laisser de côté le confort. Je peux vous assurer qu’on s’y sent bien. D’ailleurs, voici un petit articleremettant en perspective la notion de confort thermique bien au delà des degrés indiqués par le thermomètre.
Photo prise d’une kerterre finie dans sa construction et aménagée pour la location (29).
La créativité A part l’incrustation des huisseries, il est tout à fait possible d’incruster d’autres objets en verre, de créer des espaces à l’intérieur, des gouttières formant de belles vagues…
Intérieur d’une kerterre que nous avons « aménagé » et « décoré » (29)
La dimension humaine Bien qu’il est possible de faire seul une kerterre, il est une aventure de construire à plusieurs. Toutes ces semaines de chantier ont été vécues à plusieurs que ce soit sous le format de stage ou de chantier participatif (20 personnes environ). Dans ce deuxième cas, la contribution au chantier est échangé contre le gîte et le couvert. De faire ensemble nourrit la capacité à vivre ensemble : à s’harmoniser (par exemple, aller l’un vers l’autre pour que les enduits se rejoignent harmonieusement), à être conscient de sa disponibilité (parfois il est préférable de se retirer pour mieux revenir plus tard car on a à la fois notre capital d’énergie propre et notre rythme propre). J’ai pu constater l’importance de communiquer, de la nécessité de poser des bases claires. Mais parfois ce n’est pas le cas, c’est ainsi. Comment à chaque moment on peut faire avec ce qui est et s’ajuster au mieux. La plupart des semaines autour de la kerterre se sont déroulés en présence du même formateur Teddy dont je retiens ces deux éléments : poser un cadre éventuellement évolutif et auquel se référer et, voir le caractère organique de toute situation. On pourrait dire cadre et faire avec les évènements perturbateurs (=la vie) pour avancer au mieux.
Kerterre à Fraize (88)
La technique et le matériel Notre outil est notre corps Nous n’avons pas utilisé de bétonnière, malaxeur ou autre machine. Seulement à la force des bras pour mélanger. Le silence brisé par la communication entre nous est vraiment appréciable. Nous avons utilisé des truelles, des gâches (auges à gâcher, gamattes), des taloches, des étais. La chaux mélangée à l’eau nécessite des gants, le contact n’est pas totalement direct. On peut utiliser un moule permettant de poser les mèches de chanvre chaulées dessus et ainsi gagner du temps. C’est intéressant de prendre conscience de l’intelligence de notre corps à apprendre, geste après geste, à manipuler la matière, de plus en plus précisément. A part pour les huisseries, nous n’avons jamais utilisé de niveaux ou de mètre à mesurer. Travailler en courbe était très satisfaisant pour moi.
Kerterre au Val d’Ajol (88). Le moule est un dôme géodésique démontable.
Habitat vernaculaire et habitat réversible Je kiffe les habitats vernaculaires qui nous apprennent beaucoup sur l’histoire, la culture, les savoirs-faire, les matériaux disponibles. Tous ces éléments forment la singularité de l’habitat ancien d’un territoire. Dans le grand ouest et notamment dans le Cotentin, un grand nombre de bâtiments ont été construit en bauge. C’est une technique de construction de mur porteur à base d’un mélange élastique de terre argileuse et de fibres. Ah, l’argile ! Super matériau : en construction et qui soigne (voir le site de Jade Allègre qui l’a beaucoup étudié) ! Revenons à la construction, un partenariat franco-anglais travaille en ce moment sur le projet Cobbauge visant à améliorer et standardiser cette technique pour ainsi la rendre plus attractive au sein de la filière de la construction. Sur la réversibilité de l’habitat, je vous encourage à jeter un oeil au MOOC sur les Habitats réversibles de Hameaux Légers. Il est très étoffé sur le sujet. Par ailleurs, Hameaux Légers souhaite promouvoir la propriété d’un habitat réversible qui permet à la terre de retrouver son état naturel sur un terrain en location (par un bail emphytéotique par exemple) et ainsi limiter la montée importante des prix dans l’immobilier. Est-ce normal de s’endetter sur tant d’années pour accéder à la propriété d’un habitat ? Le foncier est une valeur sûre… mais à quel prix pour les générations à venir ?
Bien que pas très portée sur le rap, je trouve Pang assez imaginatif et pertinent sur le sujet.
Aujourd’hui, bien que sur la route, je réfléchis à ma future maison : un habitat d’une part inspiré du territoire vernaculaire et d’autre part réversible. Un habitat construit avec des savoirs-faire éprouvés par le temps n’empêche pas, et même au contraire, d’y adjoindre des techniques plus modernes, avec des process innovants ou des éléments empruntés à d’autres territoires. J’aime cet équilibre des 80/20 : une base à 80% et d’autres éléments à 20%. C’est à la fois une dynamique positive, équilibrée, réaliste et emprunte d’humilité.
Dans les Vosges, au terme de 5 jours, une kerterre (voir les magnifiques kerterres terminées ici) est sortie de terre, un projet un peu fou car 20 personnes s’agitent comme des fourmis pour construire une « maison » (très petite pour le stage et minimaliste dans l’absolu) qui est facile à réaliser avec du temps et se bonifie avec le temps. En plus, il a plu 2 jours, le bruit sur la bâche, l’équipement, les déplacements sur le site, l’allongement du temps de séchage n’étaient pas aidants.
Cette kerterre de 2,5m diamètre a été construite chez Christophe et Estelle, couple ayant 2 enfants Raphaël et Simon. Je suis arrivée chez eux 4 jours en avance. Ils accueillent assez souvent des bénévoles, qui reçoivent le gite et le couvert en échange d’une participation aux besoins des accueillants. Durant le temps précédant le stage, j’ai aidé à mettre en place le site et à continuer de préparer le passage du drain et sa pente. Quel accueil ! Je me suis sentie accueillie chez ce couple avec simplicité et générosité. Avant et pendant le stage, les repas étaient beaux, délicieux et généreux, et la communication authentique et sans craintes comme j’en ai eu rarement.
Les échanges avec les autres stagiaires étaient enrichissants. Pour certains, ils ont eux aussi démissionné et ont ouvert le champs des possibles avec une intention de respect d’eux-mêmes, de la nature et des autres. Certains avaient des projets lointains, d’autres plus concrets, pour eux-mêmes ou pour accueillir, des proches ou du public,… Des profils différents en lien avec la culture, l’art, la construction ou d’autres. La tranche d’âge allait peut-être de 30 à 60 ans.
La kerterre est un habitat à l’environnement bonifiant. Évelyne Adam l’a développée il y a vingt ans. Pendant des années, j’ai crû que je devais pour l’intérêt de tous limiter mon impact. Ce fut une énorme bulle d’oxygène de l’entendre : générer un impact bonifiant, en harmonie avec la nature qui profite autant à l’être humain qu’à la nature. Tous ceux qui y vivent témoignent d’une qualité de vie supérieure : l’absence d’angles, l’air sain, le contact avec le sol (qui peut être constitué de billes d’argiles et de fibres de chanvre) permettant un sommeil de qualité et une meilleure récupération. Une maison qui défatigue et même régénère. En plus, les jardins avec des rangées de légumes m’ont toujours ennuyée. Évelyne Adam a développé le jardin-jungle. Elle n’est pas la seule à promouvoir cette démarche.
Faite de fibres de chanvre, de sable et de chaux. C’est tout. C’est ce qui lui confère son caractère de réversibilité. La chaux est obtenue en chauffant des pierres calcaires. La chaux, au contact de l’eau, redevient de la pierre. Les fibres de chanvre forment l’armature de la kerterre. La chanvre est une plante géniale par elle pousse vite, ne nécessite que très peu d’eau et pas d’intrants, elle est solide, elle nourrit le sol, elle sert aussi bien dans l’alimentation, le vêtement et l’habitat.
Round baller de chanvre
La kerterre n’est posée que sur un hérisson, genre de drain composé de cailloux et graviers, sans fondation. (Photo tout en haut). Sa forme sphérique l’a rend solide.
Durant le stage, nous avons travaillé différents mélanges de chaux et sable selon les endroits, avec fibres de chanvre ou pas : pour la selle, la structure même de la kerterre, l’isolant avec de la chenevotte (fibre hachée de chanvre), pour tenir les incrustations,… C’est étonnant de voir à l’oeuvre la force collective pour construire cette petite maison. Je me suis émerveillée de voir l’intelligence dans les mains. À force de travailler cette matière, nos mains devenaient plus intuitives.
Hormis l’attention à porter sur le contact de la chaux sèche avec les muqueuses et la chaux humide qui peut creuser la peau, la chaux se travaille facilement. C’est pourquoi, nous étions équipés de masque, lunettes et gants doublés.
Avec le mélange de chaux chanvre, on peut former la kerterre selon ses besoins et sans aucune mesure. Un niveau suffit pour l’aplomb des huisseries. La seule limite est l’imagination.
Ce stage m’a bluffée par la bonne humeur, l’organisation intuitive de l’ensemble des personnes, la qualité de l’accompagnement du formateur (qui repose autant sur sa personnalité que sur la façon dont Kerterre accompagne ses futurs formateurs). Comme a dit une stagiaire « bizarrement, il n’y a pas eu LE relou du groupe ». Au niveau de des déplacements dur le chantier, pas de maladresses malgré le nombre d’étais installés, pas de chutes malgré le pourtour de la kerterre un peu cahotique.
La journée commençait à 9h par un jeu et se terminait à 18h ponctués par des Hippipip invitant à se rassembler autour du formateur pour un point technique sur le chantier et par un point avant la reprise après déjeuner. Presque chaque soir, il se passait quelque chose. Deux soirs, nous avons eu la chance qu’un voisin, ami et stagiaire vienne avec sa famille musicienne dont son fils Estevan. Nous avons eu un bal folk à la maison ! Cercle circassien, bourrée, mazurka, valse, scottish, valse écossaise,… Un grand moment de plaisir pour ceux qui étaient présents. Un autre soir, le papa de Christophe, médecin à la retraite nous a partagé sa compréhension du covid. Encore un autre soir, Mathieu (de Boem entreprise familiale) est venu nous expliquer le processus qui permet d’obtenir la chaux conditionnée en sac. Les carrières de calcaire nous assure de nombreuses décennies. Le calcaire, grâce aux quatre éléments, devient de la chaux avec la même infrastructure depuis plus d’un siècle. La semaine s’est terminée par un apéro où nous avons fêté la fin du stage et le début de l’aventure kerterre dans une échelle de temps différente pour chacun de nous.
Ce stage m’a permis d’apprendre à construire ma propre maison dont l’impact est très faible concernant l’habitat et même bonifiant avec son environnement. En plus, pour un coût extrêmement faible. Ce qui me fait penser à la démarche lowtech (construction d’objets) : ergonomique (qui répond au besoin technique), économique (accessible financièrement) et résilient (bon pour la nature et l’être humain).
Peu après mi-juillet, nouvelles connaissances à acquérir pour la construction de la kerterre car je participerai au stage B2 qui portera sur les enduits intérieurs et extérieurs.
Dans l’immédiat, je reste encore quelques jours chez Christophe et Estelle pour continuer la kerterre. À la fin du stage, je ne savais pas quoi faire, partir, rester… Rien ne se dessinait. J’ai décidé de rester une semaine de plus. C’était comme m’offrir un cadeau, en prenant soin de moi, en vivant à mon rythme encore quelques jours et en continuant la kerterre. Je retrouverai la route et les belles rencontres un peu plus tard. À cet instant où j’ai choisi, j’ai ressenti beaucoup de joie. C’est souvent et de plus en plus ce critère qui me conforte dans mes décisions.
Dans la Manche, au Mesnil-Véneron, Chez Charlotte et Gabriel maraîchers à travers leur activité au Jardin des meules, j’ai découvert et participé à la confection et l’application d’un enduit à base de terre.
Une terre assez rouge, marron, mais c’est difficile de la décrire. Chaque bout de territoire a ses couleurs autant au dessus du sol qu’en dessous.
Pour un enduit extérieur, nul besoin de trier la terre, de lui enlever ses petits et moyens cailloux. Mais pour un enduit intérieur aussi lisse, hé bien si. C’est aussi plus facile à appliquer. C’est assez fatiguant d’obtenir cette belle ganache qui servira à confectionner l’enduit. La terre ne doit pas être trop mouillée même si au tamis c’est plus facile car le déphasage de l’eau et la terre se fait dans une certaine limite. On souhaite obtenir une terre triée mais pas une eau terreuse.
Il est nécessaire de faire des essais pour s’assurer que l’enduit unique réalisé ne craquellera pas et se tiendra bien. Gabriel est arrivé à la recette suivante qu’il met dans la bétonnière : un peu d’eau, 3 doses de sables, 2 doses de terre, 1 dose de lin coupés, 1 dose de sable, une poignet de chaux et de l’eau pour obtenir la consistance recherchée.
Pour le mur, c’est le travail à la truelle et la taloche. On applique au mieux. Gabriel repasse sur l’enduit quand il n’est pas encore sec. Et le lendemain, l’éponge gratifie le travail à la truelle car il gomme toutes (dans la limite évidemment du raisonnable) les aspérités. C’est une éponge un peu imbibée d’eau avec laquelle on fait des grands cercles. Le teint est parfaitement unifié !
Il est très agréable de toucher la terre, de s’en mettre sur les vêtements sans se soucier d’impossibles tâches ou de blessures aux mains.