Dans les Vosges, au terme de 5 jours, une kerterre (voir les magnifiques kerterres terminées ici) est sortie de terre, un projet un peu fou car 20 personnes s’agitent comme des fourmis pour construire une « maison » (très petite pour le stage et minimaliste dans l’absolu) qui est facile à réaliser avec du temps et se bonifie avec le temps. En plus, il a plu 2 jours, le bruit sur la bâche, l’équipement, les déplacements sur le site, l’allongement du temps de séchage n’étaient pas aidants.
Cette kerterre de 2,5m diamètre a été construite chez Christophe et Estelle, couple ayant 2 enfants Raphaël et Simon. Je suis arrivée chez eux 4 jours en avance. Ils accueillent assez souvent des bénévoles, qui reçoivent le gite et le couvert en échange d’une participation aux besoins des accueillants. Durant le temps précédant le stage, j’ai aidé à mettre en place le site et à continuer de préparer le passage du drain et sa pente.
Quel accueil ! Je me suis sentie accueillie chez ce couple avec simplicité et générosité. Avant et pendant le stage, les repas étaient beaux, délicieux et généreux, et la communication authentique et sans craintes comme j’en ai eu rarement.
Les échanges avec les autres stagiaires étaient enrichissants. Pour certains, ils ont eux aussi démissionné et ont ouvert le champs des possibles avec une intention de respect d’eux-mêmes, de la nature et des autres. Certains avaient des projets lointains, d’autres plus concrets, pour eux-mêmes ou pour accueillir, des proches ou du public,… Des profils différents en lien avec la culture, l’art, la construction ou d’autres. La tranche d’âge allait peut-être de 30 à 60 ans.
La kerterre est un habitat à l’environnement bonifiant. Évelyne Adam l’a développée il y a vingt ans. Pendant des années, j’ai crû que je devais pour l’intérêt de tous limiter mon impact. Ce fut une énorme bulle d’oxygène de l’entendre : générer un impact bonifiant, en harmonie avec la nature qui profite autant à l’être humain qu’à la nature. Tous ceux qui y vivent témoignent d’une qualité de vie supérieure : l’absence d’angles, l’air sain, le contact avec le sol (qui peut être constitué de billes d’argiles et de fibres de chanvre) permettant un sommeil de qualité et une meilleure récupération. Une maison qui défatigue et même régénère.
En plus, les jardins avec des rangées de légumes m’ont toujours ennuyée. Évelyne Adam a développé le jardin-jungle. Elle n’est pas la seule à promouvoir cette démarche.
Faite de fibres de chanvre, de sable et de chaux. C’est tout. C’est ce qui lui confère son caractère de réversibilité. La chaux est obtenue en chauffant des pierres calcaires. La chaux, au contact de l’eau, redevient de la pierre. Les fibres de chanvre forment l’armature de la kerterre. La chanvre est une plante géniale par elle pousse vite, ne nécessite que très peu d’eau et pas d’intrants, elle est solide, elle nourrit le sol, elle sert aussi bien dans l’alimentation, le vêtement et l’habitat.
La kerterre n’est posée que sur un hérisson, genre de drain composé de cailloux et graviers, sans fondation. (Photo tout en haut). Sa forme sphérique l’a rend solide.
Durant le stage, nous avons travaillé différents mélanges de chaux et sable selon les endroits, avec fibres de chanvre ou pas : pour la selle, la structure même de la kerterre, l’isolant avec de la chenevotte (fibre hachée de chanvre), pour tenir les incrustations,… C’est étonnant de voir à l’oeuvre la force collective pour construire cette petite maison. Je me suis émerveillée de voir l’intelligence dans les mains. À force de travailler cette matière, nos mains devenaient plus intuitives.
Hormis l’attention à porter sur le contact de la chaux sèche avec les muqueuses et la chaux humide qui peut creuser la peau, la chaux se travaille facilement. C’est pourquoi, nous étions équipés de masque, lunettes et gants doublés.
Avec le mélange de chaux chanvre, on peut former la kerterre selon ses besoins et sans aucune mesure. Un niveau suffit pour l’aplomb des huisseries. La seule limite est l’imagination.
Ce stage m’a bluffée par la bonne humeur, l’organisation intuitive de l’ensemble des personnes, la qualité de l’accompagnement du formateur (qui repose autant sur sa personnalité que sur la façon dont Kerterre accompagne ses futurs formateurs). Comme a dit une stagiaire « bizarrement, il n’y a pas eu LE relou du groupe ». Au niveau de des déplacements dur le chantier, pas de maladresses malgré le nombre d’étais installés, pas de chutes malgré le pourtour de la kerterre un peu cahotique.
La journée commençait à 9h par un jeu et se terminait à 18h ponctués par des Hippipip invitant à se rassembler autour du formateur pour un point technique sur le chantier et par un point avant la reprise après déjeuner. Presque chaque soir, il se passait quelque chose. Deux soirs, nous avons eu la chance qu’un voisin, ami et stagiaire vienne avec sa famille musicienne dont son fils Estevan. Nous avons eu un bal folk à la maison ! Cercle circassien, bourrée, mazurka, valse, scottish, valse écossaise,… Un grand moment de plaisir pour ceux qui étaient présents. Un autre soir, le papa de Christophe, médecin à la retraite nous a partagé sa compréhension du covid. Encore un autre soir, Mathieu (de Boem entreprise familiale) est venu nous expliquer le processus qui permet d’obtenir la chaux conditionnée en sac. Les carrières de calcaire nous assure de nombreuses décennies. Le calcaire, grâce aux quatre éléments, devient de la chaux avec la même infrastructure depuis plus d’un siècle. La semaine s’est terminée par un apéro où nous avons fêté la fin du stage et le début de l’aventure kerterre dans une échelle de temps différente pour chacun de nous.
Ce stage m’a permis d’apprendre à construire ma propre maison dont l’impact est très faible concernant l’habitat et même bonifiant avec son environnement. En plus, pour un coût extrêmement faible. Ce qui me fait penser à la démarche lowtech (construction d’objets) : ergonomique (qui répond au besoin technique), économique (accessible financièrement) et résilient (bon pour la nature et l’être humain).
Peu après mi-juillet, nouvelles connaissances à acquérir pour la construction de la kerterre car je participerai au stage B2 qui portera sur les enduits intérieurs et extérieurs.
Dans l’immédiat, je reste encore quelques jours chez Christophe et Estelle pour continuer la kerterre. À la fin du stage, je ne savais pas quoi faire, partir, rester… Rien ne se dessinait. J’ai décidé de rester une semaine de plus. C’était comme m’offrir un cadeau, en prenant soin de moi, en vivant à mon rythme encore quelques jours et en continuant la kerterre. Je retrouverai la route et les belles rencontres un peu plus tard. À cet instant où j’ai choisi, j’ai ressenti beaucoup de joie. C’est souvent et de plus en plus ce critère qui me conforte dans mes décisions.